1. Le « tournant linguistique » de la philosophie contemporaine

Par rapport aux philosophies classiques de la connaissance (Descartes, Hume, Kant…), la philosophie du XXe siècle opère un déplacement : pour comprendre comment nous pouvons connaître le monde, ce n’est pas des « idées » ou des « facultés » de l’esprit qu’il faut partir, mais du langage.

Ce « tournant linguistique » fut amorcé, dès le début du siècle, par deux grands courants de pensée :

  • d’une part, ce qu’on a appelé la philosophie analytique, née à Cambridge et dont Bertrand Russell fut le représentant le plus éminent ;
  • d’autre part, le cercle de Vienne, mouvement fondé dans les années 1920 qui regroupait autour de Moritz Schlick (1882-1936) – un des chefs de file – des philosophes allemands et autrichiens dont Rudolph Carnap (1881-1970) fut le plus important.

L’idée commune à Russell et à Carnap est de faire de la logique formelle un instrument au service de l’analyse philosophique. Elle doit servir à reformuler correctement les problèmes philosophiques et à dénoncer comme faux problèmes ceux qui se révèlent impropres à cette reformulation (ce qui est le cas, d’après Carnap, de la plupart des problèmes métaphysiques). Il est donc possible, grâce à l’outil logique, de construire une langue bien faite capable d’exprimer sans confusion tous les contenus de pensée. Ce projet doit beaucoup aux analyses du Tractatus logico-philosophicus (1921) de Wittgenstein, qui eut sur Russell et sur le cercle de Vienne une profonde influence. Il a également été marqué par les travaux du philosophe et logicien Gottlob Frege (1848-1925).

La philosophie analytique anglaise fut d’abord préoccupée du problème des rapports entre le langage et la vérité. Mais, à partir de la Deuxième Guerre mondiale, elle va infléchir ses recherches en portant son attention sur le langage ordinaire. Les représentants de cette seconde génération de philosophes analytiques sont Gilbert Ryle (1900-1976), Peter Strawson (né en 1919) et surtout John L. Austin, dont l’ouvrage Quand dire c’est faire (1960) montre que le langage n’est pas seulement un moyen de dire la vérité, mais un acte total, impliquant tout un jeu de relations complexes entre les interlocuteurs, le contexte, les conditions de communication et d’action, etc.

Dès les années 1930, la pensée de L. Wittgenstein avait évolué dans le même sens. Dans les Investigations philosophiques (1936- 1949), il abandonne certaines des conceptions essentielles du Tractatus en avançant la notion de « jeu de langage ». Il n’existe pas de langage idéal ; tout énoncé est légitime si, dans le jeu de langage qui lui est propre, il remplit sa fonction de communication.

2. L’analyse de la science

Le développement de la philosophie des sciences conduit à se situer par rapport à une conception positiviste, que le cercle de Vienne renouvelle en faisant de la science le modèle de ce dont la connaissance humaine est capable et en projetant de ruiner toute prétention à la vérité de la métaphysique. Deux réponses furent opposées à ce néopositivisme :

  • la réponse de la phénoménologie – philosophie dont Merleau-Ponty fut, en France, le plus célèbre représentant, et dont le fondateur fut Husserl – est que le positivisme est un « objectivisme » : il se polarise sur l’observation des faits et néglige l’énigme de la subjectivité qui est au travail, y compris dans les sciences objectives ;
  • la réponse de Bergson défend l’existence de vérités « métaphysiques ». La métaphysique n’est pas invalidée par la science, parce qu’elle n’a ni le même objet ni la même méthode. La science est l’œuvre de l’intelligence ; elle a pour objet la matière et sa fonction est d’augmenter notre puissance d’agir. La métaphysique, quant à elle, a pour objet l’esprit ; ses connaissances sont détournées de l’action, désintéressées.

Le positivisme est attaqué également sur le plan de la conception qu’il se fait de la démarche scientifique. Ainsi, Gaston Bachelard montre que les faits scientifiques ne sont pas donnés à l’observation, mais le résultat de toute une construction tant intellectuelle qu’expérimentale. Quant à Karl Popper, il établit que la science ne repose pas sur la vérifiabilité de ses énoncés, mais sur leur falsifiabilité (en anglais falsifiability, qu’il serait plus clair de traduire par « réfutabilité » que par « falsifiabilité »).

Quelques grands noms:

Freud (1856-1939), Durkheim (1858-1917), Husserl (1859-1938), Bergson (1859-1941), Alain (1868-1951), Russell (1873-1970), Bachelard (1884-1962), Wittgenstein (1889-1951), Heidegger (1889-1976), Popper (1902,-1994), Sartre (1905-1980), Levinas (1905-1995), Arendt (1906-1975), Merleau-Ponty (1908-1961), Foucault (1936-1984).