6. Les droits de l’homme
L’idée de droits de l’homme ne s’est guère développée avant le XVIIIe siècle, où elle s’incarne dans des textes constitutionnels : la Déclaration d’indépendance des États-Unis (1776) et la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen (1789). Ces textes proclament l’attachement à des droits naturels et subjectifs.
Dire que ces droits sont naturels, cela signifie qu’ils sont universels : ils sont affirmés pour tout homme, quels que soient les pays ou les époques. Les droits de l’homme sont en principe inaliénables (imprescriptibles). Dire que ces droits sont naturels signifie également qu’ils sont antérieurs et supérieurs à l’existence de l’État. Certes, seuls des États peuvent réellement les proclamer et les faire exister, mais c’est précisément que ces États reconnaissent alors que leur autorité n’est pas sans bornes. Les droits de l’homme sont donc conçus, au XVIIIe siècle, comme des limites au pouvoir politique, c’est-à-dire comme des libertés.
Dire que ces droits sont subjectifs signifie qu’ils sont individuels. Chacun peut les opposer à autrui, ou à l’État lui-même lorsqu’il s’estime lésé. L’homme des droits de l’homme est donc considéré comme un individu autonome et raisonnable, capable d’obéir à sa propre loi.
7. La conscience morale
La philosophie morale est dominée, au XVIIIe siècle, par Kant qui construit une théorie de l’obligation morale, c’est-à-dire du devoir. Seule l’action accomplie par devoir (et pas seulement conformément au devoir) est authentiquement morale. Un acte se juge ainsi à la pureté de son intention.
Comment est-il possible de se représenter son devoir? En ce que, dit Kant, l’homme est un être raisonnable et volontaire. L’action morale repose sur la volonté que nous avons d’obéir à la loi morale universelle que chaque sujet peut découvrir en lui-même. Autrement dit, l’action morale se présente toujours sous la forme d’un impératif catégorique, qui commande une action comme nécessaire en elle-même (et qu’il faut distinguer de l’impératif hypothétique, dans lequel l’action est prescrite comme nécessaire en vue d’une fin extérieure). Œuvre de volonté, l’action morale suppose la liberté que Kant définit comme autonomie de la volonté.
8. Philosophie de la connaissance. Kant contre l’empirisme
Sur le plan de la philosophie de la connaissance, le XVIIIe siècle fut d’abord anticartésien. Contre Descartes qui soutenait la théorie des idées innées, se dresse l’empirisme, selon lequel toutes les idées naissent de l’expérience. En publiant, en 1690, son Essai sur l’entendement humain, Locke signe le premier manifeste de l’empirisme et opère la transition d’un siècle à l’autre : l’esprit, dit-il, est d’abord une « table rase » qui n’aurait, sans l’expérience, aucun commencement d’idées. En France, Condillac, puis ceux que Napoléon Ier appellera les « idéologues » (Destutt de Tracy, Cabanis…) veulent ainsi reconstituer la genèse des idées humaines en fonction des principes hérités de Locke. En Grande-Bretagne, l’empirisme domine toute la théorie de la connaissance, en particulier avec Berkeley et Hume.
Dans ses Nouveaux essais sur l’entendement humain (1703), dont le titre indique bien qu’ils sont conçus comme une réponse au livre de Locke, Leibniz oppose une objection capitale à l’empirisme: il est vrai que rien n’est dans l’intelligence avant d’avoir été dans les sens, sauf… l’intelligence elle-même. Autrement dit, il ne faut pas confondre les principes sur lesquels repose la connaissance avec les contenus que la connaissance prend pour objet. Dans la Critique de la raison pure (1781), Kant développera cette objection : il faut, pour qu’il y ait connaissance, que le monde de l’expérience soit mis en ordre, et comment pourrait-il l’être, sinon par l’action du pouvoir propre de l’esprit? Il faut donc qu’existent dans l’esprit des structures a priori, c’est-à-dire indépendantes de l’expérience, mais qui sont la condition de possibilité de l’expérience, c’est-à-dire d’un monde organisé selon des lois.
9. Le problème du jugement esthétique
Le XVIIIe siècle renouvelle profondément la problématique de la philosophie de l’art en mettant en évidence le fait que l’œuvre d’art est l’expression d’une subjectivité. Est-ce à dire alors que le jugement esthétique est complètement relatif, conformément au dicton selon lequel « des goûts et des couleurs on ne discute pas »? Comment est-il possible de penser à la fois la subjectivité et l’universalité du jugement esthétique? C’est ce problème que Kant (encore lui !) va s’efforcer de résoudre dans la Critique de la faculté de juger (1790). Le jugement de goût (« C’est beau ») est, contrairement au jugement de connaissance, « sans concept », c’est-à-dire qu’il n’est pas objectif. Il signifie un pur sentiment de plaisir pris à la contemplation de la nature ou d’une œuvre d’art. Mais chacun s’attend à ce que ce plaisir soit partagé par d’autres. Le jugement esthétique prétend à l’universalité. Cette universalité n’est pas due à la conformité de l’objet à des règles préétablies, mais à ce que l’objet que nous trouvons beau nous semble le résultat d’une finalité que nous ne connaissons pas. C’est cette « finalité sans fins » que le génie artistique est capable de créer.