Petit exergue…

« Les stoïciens, le déclarent explicitement: pour eux, la philosophie est un « exercice ». A leurs yeux, la philosophie ne consiste pas dans l’enseignement d’une théorie abstraite, encore moins dans une exégèse de textes, mais dans un art de vivre, dans une attitude concrète, dans un style de vie déterminé, qui engage toute l’existence. L’acte philosophique ne se situe pas seulement dans l’ordre de la connaissance, mais dans l’ordre du « soi » et de l’être: c’est un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleurs. C’est une conversion qui bouleverse toute la vie, qui change l’être de celui qui l’accomplit. Elle le fait passer d’un état de vie inauthentique, obscurci par l’inconscience, rongé par le souci, à un état de vie authentique, dans lequel l’homme atteint la conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieure. » (Pierre Hadot)

chapitre 1

De la pénombre à la lumière

introduction à la démarche philosophique

Ce chapitre est à lire à la suite du diaporama de présentation (important)
Autre lecture importante: Histoire de la philosophie 1ère partie – la Grèce antique
notions abordées : la conscience, la raison, la science…
DC (distinctions-clés) : croire/savoir, réalité/apparences, abstrait/concret, matière/esprit, objectif/subjectif
référence majeure : Platon

A. « L’allégorie de la Caverne » de Platon, mythe fondateur de la philosophie

cadrage historique

Les « dialogues socratiques » écrits par Platon au 4ème siècle av. JC (une trentaine environ) mettent en scène le personnage de Socrate, le plus souvent au titre de porte-parole de ses idées philosophiques.
Ce-dernier, bien qu’il n’ait jamais rien écrit lui-même, est considéré comme le « père de la philosophie » occidentale. Au cours de ses échanges avec ses nombreux et illustres interlocuteurs, Socrate pratiquait la maïeutique, ou « art de faire accoucher les esprits ». A l’issue d’un célèbre procès, il fut condamné à mort par les athéniens en 399 av. JC (en choisissant lui-même de boire un poison, la ciguë).
Socrate fut donc le maître de Platon, lui-même maître d’Aristote (S-P-A).

« L’allégorie de la caverne » est un célèbre passage du livre VII du dialogue La République, qui traite de la justice, de l’éducation et de la cité idéale (utopie).

1. Lecture du récit et interprétation des symboles

Rappel préalable: qu’est-ce qu’interpréter?

Les quatre temps du récit:

– une description de la caverne où des prisonniers (c’est-à-dire « nous », les humains) sont enchaînés
– l’arrachement hors de la caverne : la conversion et les premières épreuves
– l’ascension vers la lumière, difficile et progressive
– la nécessaire redescente dans la caverne

Questions
– Pourquoi les prisonniers sont-ils enchaînés depuis l’enfance ?
– Que peuvent représenter les différents espaces dans l’allégorie ?
– Pourquoi le prisonnier libéré est-il rejeté par les autres à son retour dans la caverne ?

Les prisonniers : les humains dans leur état initial d’ignorance
Les chaînes : préjugés, croyances, habitudes… conditionnement, manipulation…
Les ombres : apparences, mirages, illusions des sens
Le feu : la connaissance rationnelle
Le soleil : le Bien suprême
La libération des chaînes : éveil critique, prise de conscience
La sortie de la caverne par ascension progressive : éducation (paideia), formation intellectuelle
La contemplation du « soleil » : formation spirituelle et morale accomplie
Le retour dans la caverne : prise de responsabilité (morale, sociale, politique)

2. L’allégorie de la caverne comme théorie de la connaissance de la réalité

2a. Apparences et réalité

Ce récit, qui se prête volontiers à diverses interprétations, illustre avant tout la théorie philosophique de Platon concernant la nature ultime de la réalité et les moyens de parvenir à la connaître.
Dans la caverne, les prisonniers ignorent qu’ils sont face à des ombres. Pour eux, la différence entre les objets et leurs ombres n’existe pas, seules les apparences sont réelles et rien ne les incite à penser autrement. DC : réalité/apparences
Ils sont doublement enchaînés : ignorants et ignorants de l’être. Prendre conscience de son ignorance sera donc une première étape vers la libération. D’où les fameux mots de Socrate : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. »

2b. Monde sensible et monde intelligible

Selon Platon, la réalité est double :
– au niveau inférieur, il y a le « monde sensible » (physique, matériel, concret) dans lequel nous vivons depuis notre naissance, en tant que corps avant tout. C’est l’intérieur de la caverne.
– au niveau supérieur, il y a le « monde intelligible », immatériel et abstrait (c’est-à-dire accessible uniquement par le biais de notre esprit). C’est ce monde, symbolisé par l’extérieur de la caverne où rayonne la lumière du Bien suprême, qui constitue la réalité ultime selon Platon. Ce monde est accessible par la « dialectique », c’est-à-dire un effort de la raison (logos) pour connaître le monde abstrait des Essences (ou Idées, du grec eidos), après s’être progressivement détaché du monde concret ou règnent les apparences. DC : abstrait/concret
On parle ainsi d’ « Idées platoniciennes » pour désigner ces réalités fondamentales.
 
Le cheminement hors de la caverne peut ainsi être compris comme un processus graduel de perfectionnement individuel, une « élévation de l’âme » qui nécessite une éducation progressive (paideia).

2c. La ligne divisée et les degrés de la connaissance

Exemple : Pour comprendre la justice (notion morale) :
Niveau 1 : Images de la justice (symboles, représentations)
Niveau 2 : Actes justes ou injustes particuliers observés
Niveau 3 : Définitions et raisonnements sur la justice
Niveau 4 : Saisie de l’Idée pure de Justice

Exemple : Pour comprendre le triangle (objet mathématique) :
Niveau 1 et 2 : triangle imaginé, dessin de triangle, objet triangulaire
Niveau 3 : Définitions et raisonnements mathématiques sur le triangle
Niveau 4 : Saisie de l’Idée pure du triangle

3. Le courant philosophique de « l’idéalisme » : valorisation de l’esprit sur le corps

Nous voyons donc que l’éducation de l’âme (l’esprit) consiste à s’élever du concret vers l’abstrait et, paradoxalement (c’est-à-dire contre la doxa, contre l’opinion courante), de passer de « moins de réalité » à « plus de réalité » !
Pour Platon, l’idée générale de triangle (= son concept abstrait) a plus de réalité que n’importe quel triangle particulier concret, qui n’en est au fond qu’un exemple ou une image…
Définition : un concept est une idée générale qui s’applique à un ensemble d’objets particuliers.  
 
Autrement dit pour Platon, la réalité ultime, qui est immuable et éternelle, se trouve non pas dans le monde matériel et concret mais dans le monde idéal abstrait ou « monde des Idées ».
Ce monde des Idées peut être envisagé de deux manières :
– soit on considère qu’il s’agit simplement du monde qui est construit par notre esprit, le monde mental.
– soit on considère que ce monde existe en soi, indépendamment de notre esprit qui nous permet d’y accéder. C’est le cas de Platon pour qui le monde des Idées possède une réalité métaphysique (= qui existe par-delà le monde physique)
 
Exercice : reformulez cette alternative en utilisant la DC : relatif/absolu
 
Courant philosophique : la philosophie de Platon, qui valorise le monde de l’esprit (psychique, mental, abstrait) sur le monde physique (matériel, corporel, concret), a donné naissance au courant dit de « l’idéalisme » qui traversera toute l’histoire de la philosophie.

4. Deux approfondissements (pour les plus motivés!):

4a. La doctrine « idéaliste » de Platon est une critique de l’empirisme

L’empirisme (du grec empereia: l’expérience) est la doctrine selon laquelle nos connaissances et nos contenus mentaux nous viennent avant tout de notre expérience sensible et donc de notre rapport avec le monde concret.
L’argument de Platon contre ce courant est simple : les sens nous trompent, il faut donc se méfier l’expérience sensible et de notre sensibilité en général. La connaissance vraie et objective ne peut venir que de l’usage de la raison.
Exemple classique : notre vue nous montre que le Soleil se déplace, or c’est une illusion, et il aura fallu le travail de l’imagination et de la raison de Galilée (pour ne citer que lui) pour s’en défaire définitivement.
On retrouvera cet argument au XVIIème siècle avec le courant du rationalisme initié par Descartes.

4b. La théorie de la « réminiscence »

Pour Platon, la connaissance n’est pas tant une affaire d’apprentissage que de ressouvenir (anamnesis en grec). L’âme ayant contemplé les Idées avant sa chute dans le corps, elle est capable de les re-connaître.
Cette théorie sert tout à la fois à démontrer l’immortalité de l’âme et l’existence de réalités intelligibles.
Ainsi dans le dialogue Ménon par exemple : Socrate fait découvrir le théorème de Pythagore à un esclave par questionnement, sans enseignement préalable.

B. La philosophie et l’idéal d’objectivité

1. Distinction conceptuelle fondamentale: subjectif/objectif

–> voir exercice sur feuille annexe

2. Les trois maximes de la pensée droite

–> lire le texte de Kant

Les trois règles pour bien orienter sa pensée:
– Penser par soi-même, sans préjugé, de manière active et autonome
– Développer une pensée ouverte, objective, qui tend à « l’universalité »
– Penser en accord avec soi-même, de manière cohérente et logique

3. Le « nuage du logos »

(schéma récapitulatif au tableau)

C. Le dialogue des philosophes / entraînement à l’explication de texte

Faire de la philosophie, c’est bien sûr aussi lire et s’efforcer de comprendre les thèses et les doctrines qui jalonnent le longue et riche « histoire de la philosophie », de l’Antiquité à nos jours, et puis savoir les mettre en perspective les unes avec les autres, selon parfois une logique de controverse qui voit s’affronter arguments et contre-arguments dans un dialogue fécond.

vu en classe: texte d’Alain – « L’âme c’est ce qui refuse le corps »

On constate à travers les diverses époques et cultures qu’il est souvent question d’âme, d’esprit, de conscience ou de raison lorsqu’on cherche à définir l’humain ou à le distinguer de l’animal. Cette tendance naturelle à séparer en nous une partie supérieure (l’esprit), d’une partie inférieure (le corps) se nomme en philosophie « le dualisme du corps et de l’esprit ».
Cette distinction est avant tout imaginaire, qui en effet a déjà pu observer un esprit sans corps ? Mais elle est aussi à l’origine de diverses croyances concernant notre être spirituel ou psychique, que l’on peut regrouper dans la catégorie « croyance en l’âme ».
Ceci dit, que l’on y croît ou pas, le mot « âme » semble bien faire sens pour chacun et on le retrouve dans l’usage courant : « avoir des états d’âme », « elle a trouvé l’âme sœur », « ce discours manque d’âme », « Tu es sans âme ! »…
Dans cet extrait, le philosophe Alain, de son point de vue athée et rationaliste, vient nous en proposer une définition lapidaire : « L’âme, c’est ce qui refuse le corps. »
–> explication complète dans l’onglet « sujet/corrigés »

Conclusion de ce premier chapitre:

Sapere Aude!

Ose te servir de ton propre entendement! (Kant)

Nous avons vu à travers ce chapitre et l’allégorie de la Caverne ce qu’est avant tout la philosophie : elle n’est pas un enseignement rigide de doctrines ou un simple jeu de questions sans réponses, non la philosophie est avant tout une démarche intellectuelle voire spirituelle orientée vers la connaissance et la vérité, qui engage l’épanouissement complet de notre personne par l’exercice de notre raison et de notre meilleur jugement. Dans la perspective de la figure tutélaire de Platon, le chemin de la philosophie nous invite à quitter le monde de l’immédiateté sensible, des apparences souvent trompeuses, des idées trop simples ou toutes faites, des dogmes infondés et des fausses croyances, pour parvenir à une véritable libération de l’esprit et à la meilleure vie possible.
Dans son essai de 1784, Qu’est-ce que les Lumières ?, le philosophe allemand Kant nous invite, dans l’esprit de Platon, à « sortir de la minorité », c’est-à-dire nous libérer de toutes les autorités qui nous diraient ce qu’il faut penser ou faire. Il reprend ainsi cette formule du poète latin Horace: Sapere aude! Ose savoir par toi-même! pour en faire la devise des Lumières.